Death Valley Junction, l'imagination en marche ou la tentation du surnaturel (2)

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23 février : jour de pluie à Clorinda. La boue empêche les déplacements. C'est donc cloîtré au « departamento » que j'achève le récit de nos aventures dans la Vallée de la mort.

 

Le 7 janvier dernier, je me réveillai en plein milieu du désert. Je sortis de la chambre et tombai nez-à-nez sur le veilleur de nuit. Il marchait le long des arcades, une pelle sur le dos. On échangea quelq101 1941ues mots. À ma grande surprise, il se souvenait de mon prénom. Je me dirigeai ensuite vers la réception où j'app ris qu'on pouvait déjeuner dans le café voisin : nous avions droit à deux toasts et un café  chacun. Pour le reste, on bénéficiait d'un tarif préférentiel. On commanda des oeufs, du bacon, des pommes-de-terre, du jus et une tarte maison. Trois hommes en uniforme déjeunaient à la table d'à côté. L'un d'entre eux était policier. Sa voiture était garée devant le restaurant. On vida nos assiettes, je payai au comptoir et l'on retourna à l'hôtel. La veille, la réceptionniste nous avait confirmé que nous pouvions visiter le petit théâtre. On demanda s'il était possible de nous ouvrir la porte, la réponse fut négative et je m'en contentai. Fanchon insista, elle alla trouver un homme qui semblait être le patron et lui expliqua que nous étions venus de France pour visiter la salle de spectacles. L'homme céda : nous n'avions qu'à trouver un employé et lui demander de nous faire la visite. Un jeune homme qui ramassait les draps accepta de bon coeur de nous servir de guide. Le théâtre en question est un lieu insolite. Long d'une cinquante de mètres, large d'une vingtaine, il compte une centaine de sièges. La maîtresse des lieux, malgré ses 90 ans passés, s'y produit encore une fois par semaine. Les murs sont couverts de peintures représentant un public fictif. Au-dessus de la porte d'entrée, le roi et la reine trônent dans leur loge, face à la scène. On fit rapidement le tour de la salle, Fanchon prit quelques photos et l'on sortit.


101 1959

 

Nous étions sur le point de saluer notre guide quand celui-ci nous glissa que la partie de l'hôtel devant laquelle nous passions était hantée. Il me semblait avoir mal compris. Je le fis répéter et il confirma ce que j'avais entendu. Quelques secondes plus tard, nous entrions dans l'aile inoccupée du motel. L'Armagosa Opera House est un ancien centre social autrefois réservé aux mineurs de la région. Jusque dans les années 1930, le lieu offrait aux travailleurs le gîte et le couvert, une clinique et des services divers. Seule une partie du bâtiment a été réaménagée en hôtel. L'autre, symétriquement opposée, est restée à l'abandon. Le couloir qui desservait autrefois la totalité de l'édifice semble avoir été muré et un grand miroir fait aujourd'hui office de cloison. Ce contraste net, invisible depuis l'extérieur, entre, d'une part, un hôtel où le temps semble s'être arrêté, et, d'autre part, une série de pièces lugubres où subsitent des traces du quotidien d'antan, laisse une impression extrêmement forte sur le visiteur.


101 1961

 

Totalement stupéfaits, nous nous efforcions de suivre notre guide. À notre droite, une enfilade de pièces recelaient du mobilier d'époque : un ancien frigidaire, des matelas, des sommiers défoncés... Les murs, quoique défraîchis, tâchés et fissurés, avaient conservé les peintures d'autrefois. Dans une des chambres du fond, celle qui sentait l'urine, un homme s'était, paraît-il, pendu. Sur notre gauche, se trouvait une salle d'eau. Le jeune homme y pénétra pour en sortir immédiatement. Les ondes étaient mauvaises : une femme y avait noyé son enfant. L'employé marchait devant nous, de plus en plus vite. Nous avions du mal à entendre et comprendre ses commentaires. Il nous fit passer dans une grande pièce qui avait servi de réfectoire. Sur une table, j'aperçus une bougie et des cartes. Plus loin, une porte était maintenue ouverte par une petite cale en bois. Elle donnait sur les douches où, un jour, des inspecteurs étaient restés enfermés, tandis que l'eau s'était mise à couler... J'ai maintes fois tenté de me représenter le parcours que nous fîmes dans ce lieu étrange. Les images s'effacent peu à peu, mais l'intensité de l'impression perdure. Je ne sais pas combien de temps nous y sommes restés; probablement pas plus de 5 minutes. Notre jeune guide nous mena vers la sortie, s'assura que personne ne nous avait vus et disparut soudainement sans même nous saluer.


101 1962

 

Nous étions à 2h30 de Las Vegas. Tout au long du trajet, je restai silencieux, sous le choc de l'expérience que nous venions de faire. J'avais beau essayer de détourner mes pensées, mon imagination en marche refusait de considérer autre chose. Il me semblait qu'il y avait un message, un enseignement à tirer de tout ceci : l'état d'excitation mentale dans lequel je me trouvais devait bien avoir une raison. Je me repassais en boucle les épisodes que nous avions vécus depuis notre arrivée à Death Valley Junction et j'essayais d'établir des liens entre les évènements, les rencontres et les conversations de ces dernières 24 heures. L'arrivée à Las Vegas interrompit un temps le flux vertigineux de mes rêveries. Mais ce dernier reprit de plus bel dès que j'eus l'opportunité de me connecter sur Internet, d'abord au Mac Donald, puis dans le bus qui nous menait à San Diego. Soucieux de ne pas me faire voir par Fanchon qui commençait à trouver mes fantasmagories un peu excessives, je passai une nuit blanche à lire et relire les blogs de voyageurs, les articles des journaux locaux et les sites spécialisés qui s'attardaient sur l'Armagosa Opera House. De nombreuses pages revenaient sur l'histoire du lieu. La pendaison d'un homme et la noyade d'une jeune fille y étaient effectivement avérées. Certaines pages faisaient référence à la présence de phénomènes paranormaux. La liste était très longue. Des touristes disaient avoir entendu des sons étranges, d'autres affirmaient sentir une présence, d'autres encore publiaient des photos troublantes. Certains groupes d'initiés pratiquaient même des séances de spiritisme. Un article éveilla particulièrement mon attention. L'auteur passait en revue les chambres hantées. Il citait en particulier la 11 et la 15, celles-là même qu'on nous avait proposées alors que toutes les chambres de l'hôtel étaient libres. Il évoquait également la 23, la chambre voisine de la nôtre, dans laquelle, certaines nuits, on pouvait entendre un enfant pleurer. La coincidence était forte. Effectivement, nous avions perçu des pleurs; ceux du petit garçon blond, venu avec ces parents, que je suis persuadé d'avoir vu en passant devant la chambre 23. Je tombai également sur le site d'un voyageur anglophone qui relatait la nuit étrange qu'il avait passée dans la chambre 22 alors qu'il était en voyage de noces. Là encore, la similitude me laissait perplexe. Le jour se levait et nous arrivions à San Diego. Dans un état de fatigue extrême, j'essayai de dormir un peu. Je ne pus trouver le sommeil. Les rouages de mon imagination, encore chauds, avaient fonctionné comme jamais. J'avais passé la nuit à tenter de comprendre, à établir des liens sans trouver de réponse convaincante.

Publié dans Etats-Unis

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