Death Valley Junction, l'imagination en marche ou la tentation du surnaturel (1)

Publié le par loulenvoyage

18 février : La journée, une fois de plus, a été intense. Levés à 6h30, nous nous sommes rendus dans les barrios pour rassembler les enfants. Un collectivo est venu nous récupérer pour nous amener dans un grand camping où la centaine de gamins a joué, crié, couru, jusqu'à ce que la pluie survienne. C'est donc fatigué que je m'aventure à décrire le moment qui fut sans doute le plus fort depuis notre départ de Montréal : le passage dans la Death Valley.

 

Nous y sommes arrivés le 5 janvier, de nuit. Plongés dans l'obscurité la plus totale, il nous était impossible de voir, et même de deviner les paysages qui nous entouraient. Nous filions à vive allure, totalement seuls sur une route droite et large. Les phares éclairaient le bitume, parfois un panneau indicateur, et de temps à autres des reflets cristallins apparaissaient sur le bas-côté. Fanchon affirmait que c'était de la neige. Ca me paraissait impossible car nous étions en plein désert. Dans le guide que nous consultions, il était recommandé de faire très attention à la chaleur, et ce en toute saison. On s'arrêta donc pour tirer la chose au clair. J'ouvris la fenêtre de l'auto; le silence regnait comme jamais. Je tendis la tête vers l'extérieur pour constater avec surprise qu'il s'agissait bien de neige, ici, en plein désert, alors que tout était plat.... Décidément ce lieu réservait bien des surprises. On reprit notre route vers le Stovepipe Wells Village, un des deux seuls motels du parc, celui-là même dans lequel nous avions réservé une chambre. Un vieux monsieur nous attendait à la réception. Il fit une description méthodique des services proposés, nous indiqua le numéro de notre chambre et nous remit les clés. On peina à mettre la climatisation en marche, on savoura les quelques sandwichs que j'avais préparés pour l'occasion et on se mit au lit. Ce fut un instant de grâce, le lendemain, quand on ouvrit la porte, 101 1884de voire s'étaler devant nous, sous un ciel totalement bleu, des kilomètres de sable et de roches. Nous étions en plein milieu du désert. Quelques voitures étaient groupées autour du motel. De l'autre côté de la route, comme au centre de nulle part, se trouvaient une station service et une épicerie. Avertis des prix prohibitifs pratiqués dans la Vallée de la Mort, on avait pris soin de préparer quelques repas d'avance. On déjeuna et on démarra l'auto. Le parc est ainsi fait que tous les points touristiques majeurs sont reliés entre eux par la route. On peut donc facilement concocter un itinéraire à sa mesure et s'y tenir en une ou deux journées. On commença la notre par une courte ballade dans un petit canyon. Le lieu était splendide : surplombant une partie de la vallée, un sentier étroit se faufilait entre deux parois de pierre hautes d'une dizaine de mètres. Mon daltonisme m'empêcha cependant de percevoir les nuances de couleurs dont parlaient notre guide et la brochure qu'on nous avait remise à l'hôtel. Sans doute sous l'impulsion de ma culture western, mon imagination se mit aussitôt en route. J'eus quelques regrets à faire demi-tour pour rejoindre le parking, mais la journée ne faisait que commencer, et d'autres sites, sans doute aussi époustouflants nous attendaient. Quelques kilomètres plus loin, on s'arrêta pour déjeuner aux pieds de dunes de sable. On fit quelques pas et autant de photos dans ce paysage saharien et l'on rejoignit la voiture pour nous rendre au bord d'une petite rivière dont le taux de salaison était bien plus supérieur à celui de la Mer Morte. Une garde entama la conversation et nous expliqua que le ruisseau était si salé qu'aucun des animaux du parc ne pouvait s'y désaltérer. La journée passa de même : le petit musée de Furnace Creek, les anciennes mines de borax et des paysages à couper le souffle. Le crépuscule approchait. La lumière était splendide et on entreprit d'aller voir le coucher de soleil depuis le Dante's View. Pressés par l'obscurité qui s'emparait peu à peu du paysage, on augmenta l'allure. Nous avions un peu sousestimé les distances et je m'inquiétais à la vue de l'aiguille de la jauge qui s'approchait peu à peu du « empty ». Nous fillions à vive allure. Au loin, sur le côté droit, apparut une grande tour de métal. Il s'agissait d'une mine désaffectée. Une voiture grise était arrêtée sur le côté. Un homme debout nous regarda passer. Il avait un visage menaçant et il me sembla qu'il passa rapidement son index sur sa gorge. Sans doute voulait-il se gratter ou nous indiquer que nous roulions beaucoup trop vite. Je restai perplexe, un peu inquiet. Là encore, mon imagination avait dû s'enflammer. Une barrière nous arrêta net. La route était barrée en raison de la neige. On fit demi-tour. Lorsqu'on repassa devant l'ancienne mine, l'homme et la voiture avaient disparu.


101 1904

 

Nous avions réservé une chambre à L'Armagosa Opera House. Le lieu nous paraissait insolite et pittoresque. Sur Intenet nous avions pu lire qu'une danseuse de New-York s'y était arrêtée dans les années 1960. Elle était tombée amoureuse de ce lieu alors désaffecté et avait décidé d'y monter un théâtre, d'y faire des représentations et d'y aménager des chambres pour accueillir les gens de passage dans le désert. J'entrai le premier dans l'hôtel. Une dame était au téléphone. Elle prit quelques minutes avant de terminer sa conversation et se tourna vers moi pour savoir ce que je lui voulais. Je répondis que nous avions réservé une chambre et je donnai mon nom. Fanchon attendait à l'extérieur, dans la voiture. Le Motel semblait totalement vide. Lors de notre réservation, nous avions choisi la chambre 22. Prétextant qu'un enfant se trouvait dans la chambre voisine, la réceptionniste me proposa les 101 1938chambres 11 et 15, dans lesquelles assurait-elle, nous serions beaucoup plus tranquilles et plus à l'aise. Elle m'invita à venir voir les chambres. Je la suivis dans le couloir. Elle ouvrit les trois portes et disparut. Je fis rapidement le tour des trois chambres. Toutes étaient rustiques, avec une moquette sale et épaisse au sol, et un mobilier démodé et totalement hétéroclite. Sur les murs autrefois blancs, la maîtresse des lieux avaient peint des motifs propres à chaque chambre : dans l'une d'entre elle, la queue d'un paon faisait office de chevet de lit. La chambre que nous avions choisie me parut la plus claire, la plus propre, et contrairement à ce qu'on m'avait déclaré à la réception, la plus grande. J'avais cependant du mal à me décider. On nous proposait de nous « surclasser », et même si je n'en voyais pas les avantages, l'offre restait intéressante. Je retournai donc à l'accueil en signifiant mon intention de laisser ma copine décider. Fanchon rentra dans l'hôtel. La dame me félicita, affirmant qu'elle avait des yeux magnifiques. Cette éloge me parut d'abord un peu déplacé. Ce n'est qu'après que je me souvins que nous avions coché la case « honey moon » lors de notre réservation. Fanchon passa la tête dans chacune des trois chambres et opta pour la nuro 22 sans une hésitation. On déposa nos affaires, on s'informa pour savoir où manger et nous mîmes en route. Le bar qu'on nous avait recommandé était à cinq kilomètres du motel. On sonna, la porte s'ouvrit. L'endroit était comme dans les films qui relatent la vie des desperados des temps modernes. Isolé, immense, totalement vide. Un homme sirotait une budweiser, seul au comptoir. Il tentait de discuter avec le patron, occupé à changer les chaînes de son immense télévison. La seule lumière émanait des néons qui faisaient l'éloge de telle bière ou tel soda. On demanda si l'on pouvait manger. Le patron, un grand homme maigre, au visage émacié et aux cheveux longs nous fit signe que oui. Il se leva doucement, et sans se presser, alla alerter sa femme. Celle-ci sortit d'on ne sait où, elle nous tendit deux feuilles de papier froissées qui s'avérèrent être des menus, puis finit par nous proposer un plat complet à base de viande, de patates et de brocolis. Après trois jours de sandwichs, on accepta l'offre avec autant de plaisir que d'appétit. Elle repartit d'où elle était venue et je commandai une bière. Le patron demanda à vérifier notre I.D, nous expliquant qu'il lui était interdit de servir au bar quiconque avait moins de dix-huit printemps. Il se tourna, sortit une bouteille, la décapsula et la posa devant moi, sans verre.


101 1909

 

Advint alors ce moment que j'adore : tu es dans un bar, perdu au-milieu de nulle part. Personne ne sait rien de toi, à part que tu es un touriste, avec toutes les mauvaises choses que cela implique. Tu as le temps de quelques bières pour poser les bonnes questions, pour écouter les plus vieux, voire les langues se délier, la méfiance tomber, et sortir de là en sachant que le patron, qui a vu des miliers de personnes s'accouder à son comptoir, pense que le mec qui vient de passer la porte de son établissement est un gars bien. Et quand le tout se fait dans une langue que tu affectionnes, mais qui n'est pas la tienne, la satisfaction est encore plus grande. Or, ce soir là je fus terriblement satisfait. D'abord parce que le steak juteux, les pommes-de-terre à la crème fraiche et les brocolis trop cuits étaient tout ce dont j'avais besoin, mais aussi parce que le gars qui était à mes côtés entreprit une série de blagues savoureuses. Il portait une chemise à carreaux, une casquette et des petites lunettes rondes. Je ne sais comment on en arriva là, mais il insista pour m'offrir un couteau qu'il avait sorti de sa poche. Un canif français, selon lui. Je refusai. Après manger, la patronne nous fit passer à l'arrière. Elle tatonna le long d'un mur, actionna l'interrupteur et éclaira une salle de spectacle. Devant nous, sur une scène haute d'un bon mètre, j'aperçus un fatras poussérieux d'amplis, de pieds de micros, d'enceintes et d'instruments. Elle nous tendit un feutre et nous demanda de laisser un petit mot sur un des murs, si l'on pouvait trouver une petite place. La salle était couverte d'inscriptions laissées par des gens de passage originaires des quatres coins du monde. La désolation du lieu, la tranquilité de cette soirée d'hiver, contrastaient nettement avec les traces du dynamisme de la saison touristique. Fanchon, quant à elle, ne se plaisait pas trop dans cette ambiance. Sur le moment, je ne m'en aperçus nullement. On ne vit pas du même oeil la partie de billard que nous offrit le patron. J'étais ravi d'avoir à disposition un tapis de pool. Elle était pressée d'en finir, mais nous étions si mauvais que cela prit beaucoup de temps. J'avais pas mal tiré sur la bière : je me sentais joyeux et je faisais régulièrement des passages aux toilettes. Lorsque je revins des w.c, je vis que l'unique client était parti. Il était temps pour nous de faire de même. Je demandai l'addition et le patron me dit que l'homme à la casquette avait payé une partie de mes consommations. Je sortis aussitôt dans la nuit, courut le long de la route pour le rattraper et le remercier. Il me sera fermement la main et lâcha un « take care » qui semblait sincère. Je rentrai dans le restaurant, payai pour les deux repas et fis promettre au patron d'offrir le prochain verre à cet ami d'un soir.

 

101 1920

On rentra à l'hôtel. Il semblait encore plus vide. Pas un seul bruit. Avant d'aller dormir, je fis un petit tour dans le couloir et remarquai que certaines des chambres, pourtant innocupées, étaient ouvertes et éclairées. J'échangeai quelques mots avec le veilleur de nuit, un grand homme à la barbe et aux cheveux longs et gris, qui ne cessait de dire « keep you warm ». Je regagnai ma chambre et écrivis quelques lignes pour mon blog. La nuit se passa bien, autant que je puisse m'en souvenir.

Publié dans Etats-Unis

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